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Nauru ou la tragédie du Pacifique

Qui d’entre nous peut se targuer de connaître - ne serait-ce que de nom - ce pays insulaire qu’est Nauru ? Situé dans l’ouest de l’Océanie, dans le Pacifique sud, cet Etat est l’un des plus petits et des moins peuplés du monde. Pourtant, Nauru fait figure de cas d’école : après avoir connu un des niveaux de vie les plus élevés au monde dans les années 1970, l’île a connu un terrible contrecoup et cumule aujourd’hui bien des aspects du mal-développement. Une des raisons de cette tragédie tient en un mot : phosphate.

Mais avant de comprendre ce qui a fait le succès autant que le déclin de Nauru, il incombe d’en comprendre son histoire et sa géographie. 21 km², c’est la superficie de la seule île composant le pays, ce qui fait aujourd’hui de lui le troisième plus petit au monde. A titre de comparaison, cela équivaut à la somme du 16ème et 7ème arrondissement de Paris. Environ 10 000 Nauruans vivent aujourd’hui sur l’île, faisant de Nauru le quatrième Etat le moins peuplé au monde. L’île, assez isolée, est entourée d’un récif corallien et hébergeait originellement en son centre une forêt tropicale. Les stocks d’eau douce sont assez limités, et la population s’est établie en bord de mer. En dépit de ces ressources apparemment pauvres, l’île attire malgré tout en son temps les convoitises des puissances coloniales, au premier rang desquelles se trouvent l’Allemagne qui en prend le contrôle en 1888. Ce sont justement les Allemands qui découvrent en quantité dans le centre de Nauru la ressource qui marquera l’île des décennies durant : le phosphate.

Ingrédient essentiel des engrais, le phosphate nauruan commence donc à être exploité au début du XXème siècle par les colons allemands, ou plutôt par la population locale à laquelle s’ajoutent Chinois et Océaniens. Au début de la Première Guerre mondiale et en raison du statut de l’Allemagne, Nauru passe sous tutelle britannique mais est administrée de facto par l’Australie. Cela ne change en rien le paradigme de l’île : l’extraction de phosphate est maintenue et prend son essor durant l’entre-deux-guerres, en conséquence de la demande croissante des agriculteurs australiens et néozélandais. L’activité est néanmoins mise en suspens durant la Seconde Guerre mondiale – durant laquelle Nauru paie un lourd tribut tant humain que matériel suite aux attaques allemandes et à l’occupation japonaise. L’exploitation du phosphate reprend néanmoins après la guerre, toujours sous administration australienne. A cette époque, les Nauruans profitent encore peu des retombées économiques de cette activité qui pourtant les concerne à tous les plans. Un tournant survient cependant en 1968, année de la prise d’indépendance de Nauru. L’extraction du phosphate peut désormais être directement gérée par l’île, qui crée la Republic of Nauru Phosphate Corporation, entreprise publique. Alors que le stock de phosphate a déjà considérablement diminué et que la fin de son extraction est prévue pour le début du XXIème siècle, Nauru cherche à constituer une rente pour son futur et entreprend une diversification de son activité – via une compagnie aérienne notamment, qui s’avèrera être un échec. Qu’importe, Nauru connaît dans les années 1970 un enrichissement considérable : en 1974, le PIB par habitant est le deuxième du monde. Les Nauruans adoptent la société de consommation à l’occidentale et bénéficient d’avantages sociaux inédits pour la région. En à peine une dizaine d’années, la société s’est donc rapidement et considérablement enrichie.

Le déclin attendu de l’extraction du phosphate fait entrer Nauru dans une période de régression aussi brutale que son enrichissement a été rapide. Durant la décennie 1990, la quantité de phosphate extrait devient de plus en plus dérisoire en comparaison aux années antérieures. Les projets passés de diversification ou de rente se sont révélés insuffisants sinon inefficaces, et le niveau de vie des Nauruans se dégradent considérablement. Au bout du compte, l’exploitation intensive du phosphate sur près de cent ans a simplement ruiné l’île sur presque tous les plans. Le centre de l’île est désormais souillé en profondeur, sa forêt tropicale a disparue. La culture est devenue impossible sur ce sol pollué sur plusieurs mètres. En mer également, les dégâts sont considérables : les déchets miniers ont durement affecté les coraux et rendu les rivages peu hospitaliers aux espèces indigènes. Il est estimé que 80% des terres ont été dévastés, tandis que 40% de la vie marine a disparu. Concernant la population, les conséquences sont là aussi catastrophiques : les Nauruans employés pour extraire le phosphate se sont progressivement retrouvés sans emploi pour arriver en 2009 à un taux de 90% de chômage. Surtout, le mode de vie occidental trop brusque a eu une incidence directe sur les habitants : près de 50% d’entre eux sont obèses (le troisième pays le plus affecté), 95% sont en surpoids et beaucoup sont atteints de maladies cardiovasculaires et de diabète ; l’espérance de vie a même diminué. Tabagisme et alcoolisme sont en outre surreprésentés. Enfin, le pays a connu une instabilité politique, le tout dans un contexte de corruption.

Quelles peuvent donc être les perspectives pour Nauru ? En réponse à une activité économique quasiment nulle, la micro-république cherche par bien des moyens – parfois à la limite de la légalité – à faire entrer des devises. Après avoir réclamé compensation à l’Australie devant la Cour internationale de justice en 1989 pour la destruction de son territoire, Nauru a reçu plusieurs millions de dollars de la part de l’Australie, du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande. Nauru a ensuite tenté d’accroitre les rentrées d’argent grâce à la vente de passeports, au blanchiment d’argent, ou encore à l’accueil (ou plutôt à la détention) rémunéré de réfugiés refusés (ou entrés illégalement) par l’Australie. En dehors de ces activités controversées, peu de solutions semblent s’offrir au pays insulaire. Le tourisme par exemple est compromis par l’état des écosystèmes et le manque d’infrastructures et d’activités, à la différence de bien d’autres pays d’Océanie. Enfin, l’avenir du pays est tout simplement menacé par un phénomène extérieur : le changement climatique et la montée des eaux. Néanmoins, Nauru a également mis sur pied des programmes ambitieux et clairvoyants concernant le futur de l’île. Il convient notamment de citer la Nauru Rehabilitation Corporation, entreprise publique créée en 1999, qui se donne pour mission de revitaliser les terres souillées par l’industrie du phosphate. En 2019, les autorités se sont fixées pour objectifs de réhabiliter 15% des terres concernées.

Voici donc la tragique histoire de cette île du Pacifique qu’est Nauru. Après avoir connu un niveau de richesse exceptionnel, ses habitants font aujourd’hui face à une situation inquiétante pour ne pas dire catastrophique sur les plans sanitaire, social, économique, politique et environnemental. L’exploitation continue du phosphate a détruit le fonctionnement de l’île à presque tous ses échelons. Sa pérennité est encore aujourd’hui incertaine. Exemple criant de la « malédiction des ressources », Nauru ne semble cependant pas vouloir abandonner l’exploitation de ressources minières : des stocks de nickel ou de cobalt ont été découvert au large de l’île, et Nauru espère commencer à les exploiter à partir de 2025… Mais ses habitants ne retrouveront vraisemblablement pas la richesse passée, en raison notamment des dettes nationales en cours et de la précarité de la situation actuelle. Au regard de cette histoire malheureuse à tous les égards, Nauru est ainsi surnommé « le pays qui s’est mangé lui-même ». Histoire à méditer, donc, pour aider les Nauruans et ne pas reproduire cette tragédie…


Théophile Patrois

 
 
 

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