La Mer d’Aral : entre enjeux géopolitiques et enjeux climatiques
- oikosreimsneoma
- 24 févr. 2022
- 7 min de lecture

Introduction : La Mer d’Aral est un lac d’eau salée situé au centre d’un espace désertique d’Asie Centrale nommé la Dépression aralo-caspienne ou touranienne.
Elle est partagée entre le Kazakhstan au nord et l'Ouzbékistan au sud et était considérée à la fin du XXème siècle comme le 4ème plus grand lac naturel du monde notamment grâce à l’alimentation continue des fleuves Amou-Daria et Syr- Daria.
Petite parenthèse étymologique : la mer d’Aral tire son nom du Kazakh « Aral » qui signifie « île » enréférence aux milliers d’îles qui la couvraient.
Pour information dans cet article est utilisé le mot « mer » mais aussi « lac ». Il n’y a pas de distinction entre les deux puisqu’à l’origine, certes la Mer d’Aral est composée de sel mais seulementen faible quantité,du fait de la forte présence d’eau douce en provenance des fleuves Amou- Daria et Syr-Daria. Même si aujourd’hui avec son assèchement, le taux de sel présent est de plus de 90% ce qui fait d’elle la mer la plus salée du monde. A titre de comparaison, la Mer Morte possède une teneur en sel de 86%.
Mise en contexte
Avec une superficie de 66 458 km2, soit 2 fois la taille de la Belgique, la mer d’Aral était considérée comme une merveillede la nature. Cependant, force est constater qu’aujourd’hui après de multiples politiques agricoles menées par l’Union Soviétique, il ne reste plus grand-chose de cette magnifique mer d’Asie Centrale.
En effet, sa taille a été réduite de 75% depuis 1960, ce qui en fait l’une des catastrophes naturelles majeures de notre ère. Pour couronner le tout, en l’espace de 25 ans, 1/3 de sa surface s’est transformé en désert où tout signe de vie à complètement disparu.
Nous allons donc voir en détail ce qui a précipité la dégradation de cette grande étendue d’eau puis ses conséquences géopolitiques et naturelles.
L’élément déclencheur : l’émergence de l’URSS
Tout commence en 1918, lorsque les autorités soviétiques décident de mener une importante course agro-industrielle. Cela se traduit par le détournement de ses deux principaux affluents qui sont les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, dans l’unique but d’irriguer les zones désertiques du territoire ouzbek afin d’y implanter des rizières, du blé et des champs de cotons.

Mais à partir des années 1960, face à la menace des américains en pleine Guerre Froide, le gouvernement soviétique va intensifier la culture du coton en Ouzbékistan mais également au Kazakhstan. C’est donc cette décision qui entraîna la construction de différents barrages sur les 2 fleuves l’approvisionnant, qui fera basculer l’avenir du 4ème plus grand lac du monde. Effectivement, avec l’intensification des cultures et donc l’arrimage en plus grande quantité d’eau provenant des affluentsde la mer d’Aral, le paysage a été complètement bouleversé. En dépit des zones arides, des hectares de champs de coton ont radicalement changé la topographie des deux pays mais surtout la topographie de la mer. Privée de ses ressources principales en eau représentant entre 20 et 60 km3 d'eau douce chaque année, la mer va voir sa superficie être réduite de moitié en à peine 30 ans.
Certes la mer d’Aral a perdu une partie non négligeable de sa surface à cause de ces politiques intensives soviétiques, mais force est de constater que c’est toute la biodiversité qui en fait les frais et qui ne pourrait potentiellement jamais s’en remettre…
Quelles sont les conséquences sur la biodiversité ?
Depuis 1960, la mer d'Aral a donc perdu 75 % de sa surface, 17 mètres de profondeur et 90 % de son volume, ce qui a augmenté sa salinité (due au manque d’eau douce provenant des fleuves) et la plupart des espèces endémiques et rares de cette région d’Asie ont disparu. Le nombre d'espèces de poissons est passé de 32 à 6. Ce bouleversement environnemental a même eu des effets néfastes sur les populations locales. Cette région de la planète vit principalement des politiques agricoles des pays et notamment de la pêche. En 1987, les pêcheurs de la région, habitués à des pêches prolifiques, ont atteint le triste record de 0 tonne de poissons pêchés. Ainsi, en plus d’avoir complètement détruit l’écosystème qui persistait auparavant dans la région, ces grands travaux et ces grandes politiques menés par l’Union Soviétique ont également appauvri les communautés locales qui survivaient grâce aux ressources naturelles.
Il ne faut pas non plus négliger les conséquences sur les oiseaux et mammifères présents dans cette région. En effet, l’hyper-salinité de l’eau et le taux élevé de pesticides provenant des fleuves ont empêché de nombreuses espèces animales de nourrir leurs petits correctement et d’avoir une condition physique propice à l’accouplement. De ce fait, le nombre d’espèces animales a été divisé par deux. De plus, niveau climat rien ne s’est arrangé pour une région du monde qui connaît des températures aux antipodes en fonction des saisons. Plutôt que d’avoir une moyenne de -25°C en hiver et 35°C en été, les populations doivent endurer des températures atteignant désormais -50°C en hiver et 50°C en été, auxquelles s’ajoutent des vents violents et des tempêtes de sable, atteignant en moyenne les 90 km/h.
Les problèmes économiques que cet assèchement entraîne
Avant son assèchement, la mer d’Aral permettait à plus de 40 000 pêcheurs de travailler et donc de faire vivre potentiellement trois fois plus d’individus (plus de 120 000 personnes). Face au manque d’accès à l’eau et donc l’impossibilité pour une grande majorité des pêcheurs de survivre, il y a une augmentation de la pauvreté dans la région. C’est pourquoi aujourd’hui une grande partie de la population, ne pouvant plus vivre de son travail, a dû s’exiler dans les capitales, voire dans les pays voisins.

Cette image récente symbolise un passé à jamais perdu où l’on aperçoit deux anciens bateaux de pêche joncher le sol du nouveau « Désert d’Aral » qui a remplacé la Mer d’Aral.
Non seulement cette catastrophe souligne une conséquence environnementale effroyable mais aussi économique, car les aires de pâturages ont diminué de 80% à cause de l’infertilité du sol provoqué par la forte salinité du sous-sol.
La santé des populations locales est mise à mal
Face aux nombres faramineux des conséquences que produit l’assèchement de la mer d’Aral, les autorités internationales se doivent de vite agir avant qu’il ne soit trop tard. Par ailleurs, en plus d’être néfaste pour la biodiversité qui se trouve autour de la mer d’Aral, ces changements ont également des effets mortels sur les communautés qui vivent dans la région. L’utilisation toujours plus importante de pesticide pour les cultures agricoles a contaminé le sol, l’eau potable (aquifères) et pollue même l’air. En parlant de l’air, les nombreuses tempêtes qui touchent la région transportent des poussières rendues toxiques du fait des années d’exploitation industrielle.
Parmi les populations qui ont décidé de rester on retrouve des taux anormaux de cancers,d’anémies, de tuberculoses et d’un taux de mortalité infantile parmi les plus élevé du monde (110/1000).
L’espoir est-il encore possible ?
Face à l’ampleur de la crise environnementale, le Kazakhstan indépendant depuis 1991 lors de la chute de l’URSS, s’est décidé à agir. Avec l’aide de la Banque Mondiale, l’état kazakh a inauguré en 2005 le barrage de Kokaral afin de faire revivre la partie nord de la Mer d’Aral.Le programme présuppose également la réintroduction d’une quinzaine d’espèces de poissons dans le lac.

Cependant, il existe un détail qui pourrait changer la donne. En effet, le barrage de Kokaral (digue en béton longuede 16 mètres) empêche l’eau de s’écouler vers la partie sud du lac, c’est-à-dire en Ouzbékistan. La région nord de la mer d’Aral voit donc sa superficie augmenter de nouveau et présuppose une lueur d’espoir pour la biodiversité et les habitants de la région. Mais d’un autre côté la région sud subit les fortes politiques agricoles ouzbek, puisque le pays est le 6ème plus gros producteur de coton du monde et puise donc toujours autant d’eau pour irriguer les plantations, que durant l’ère soviétique. Même si l’Union Soviétique ne met plus le nez dans l’implantation des politiques industrielles et agricoles des pays de cette zone géographique, force est de constater les effets secondaires qu’elle a mis en place. En effet, si aujourd’hui la zone veut reprendre ses activités d’antan, c’est-à-dire la pêche, la chasse et l’agriculture, il est difficile pour les générations présentes aujourd’hui dans cette région de s’y réadapter. Faute d’apprentissage et d’enseignement sur les cultures de ces différents métiers, il semble impossible de permettre aux communautés locales de revenir en nombre s’installer autour du lac. Ensuite, si l’on veut revoir un jour la mer d’Aral comme lors de ses plus belles années, il faudra bien plus que l’action coordonnée du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. Il faut savoir que les fleuves affluents de la mer d’Aral, soient le Syr-Daria et l’Amou- Daria, prennent leur source au niveau de la chaîne de montagne de l’Hindou Kouch basée en Afghanistan. Ainsi, le problème est bien plus grand, ils concernent la coordination dans la gestion des eaux par tous les pays suivants : Afghanistan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Kazakhstan et le Tadjikistan. L’avenir de la mer d’Aral repose donc sur une potentielle politique commune de coopération et peut devenir à l’avenir un exemple majeur de coordination sur des enjeux environnementaux et économiques entre différents pays sur la scène internationale.

Conclusion
Le cas de l’assèchement de la mer d’Aral est au cœur des enjeux géopolitiques du monde, puisqu’il concerne autant les politiques économiques et agricoles des pays mais également les politiques environnementales, qui sont de plus en plus sous le feu des projecteurs depuis le début des années 2000. On peut clairement affirmer aujourd’hui que la mer d’Aral ne retrouvera jamais sa prospérité passée, ni la totalité de la biodiversité qui la composait au début des années 1960. Si l’on veut potentiellement espérer une augmentation du volume d’eau à hauteur de 50%, il faudra totalement arrêter la production de coton en Ouzbékistan et au Kazakhstan. Mais cela signifierait une perte économique énorme pour les communautés des deux pays et sonnerait le glas d’une crise économique et sociale encore plus dévastatrice que ce qu’elle n’est déjà.
Ensuite, il faudra également garder un œil sur les conséquences géopolitiques liées à l’appropriation de l’eau dans la partie nord de la région. D’autre part, des conséquences dues à l’exode des populations ne pouvant plus survivre dans la région suite à l’infertilité du sol et la pollution de l’eau et de l’air sont à craindre. Et enfin, la coopération et la coordination de tous les pays limitrophes (que traversent les 2 fleuves affluents de la mer d’Aral) sur la gestion des eaux sera primordiale pour l’avenir économique et environnemental de la région touranienne.
Malheureusement, l’assèchement de la mer d’Aral démontre bien comment le manque d’entente entre des pays concernés par un même enjeu environnemental peut avoir des conséquences irréversibles.
Sources
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