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La désextinction ou l'art de faire côtoyer vivants et disparus

Dryopsophus nyakalensis (un amphibien australien), Labeobarbus reinii (un poisson marocain) et Psephurus gladius (un poisson chinois – de pourtant plus de 3m de long) : voici les noms scientifiques de trois espèces animales déclarées éteintes en la seule année 2022. A ceux-là s’ajoutent les plus connus dodo, thylacine ou encore crapaud doré. Leur point commun ? L’homme, qui de sa main les a directement ou non fait s’éteindre – en prenant l’ironique précaution d’en conserver des spécimens naturalisés dans nos musées d’histoire naturelle.

De ce destin funèbre s’est développée ces dernières années une curieuse idée : et si ces espèces disparues étaient… recréées ? C’est bien ce que compte réaliser l’entreprise américaine Colossal Biosciences en levant 150 millions de dollars pour ressusciter le fameux dodo – également nommé dronte de Maurice du fait de son île d’origine. Il est à noter que cette même entreprise s’était penchée sur le cas du mammouth laineux, lui aussi éteint il y a de cela 4 000 ans.

Au-delà de l’aspect grandiloquent et, avouons-le, fascinant de l’annonce, la « désextinction » d’espèces soulève maintes questions d’ordre éthique, pratique mais aussi économique.


Mais avant de peser le pour et le contre, il faut bien répondre à une question de base : ressusciter, est-ce au moins possible ? Quitte à surprendre, il faut bien croire que oui (ou plutôt quasiment mais cela sera évoqué ci-après). Les progrès techniques et les récentes découvertes biologiques font entrevoir de nouvelles possibilités qui il y a de cela quelques décennies pouvaient paraître fantaisistes. Trois grandes pistes sont envisagées pour ladite désextinction : clonage, modification génétique grâce à l’ADN, ou croisement d’espèces. Encore plus étonnant, il existe des résultats concrets pour ces trois méthodes : le bouquetin des Pyrénées, éteint en 2000, a cependant fait renaître les espoirs avec la naissance d’un clone en 2009, certes décédé après quelques minutes. Concernant les modifications génétiques, des biologistes universitaires américains avaient réussi à faire pousser un museau reptilien à un poulet en lieu et place du traditionnel bec… Plus largement, bien des espèces éteintes sont connues par leur ADN collecté sur les restes de quelques spécimens, y compris le mammouth, constituant ainsi un potentiel point de départ à la désextinction. Enfin, le croisement a lui aussi engendré ses propres rejetons : l’auroch, bovin préhistorique chassé jusqu’à extinction, compte de nos jours des individus analogues obtenus après hybridation initiée dans les années 1920.



Bref, la résurrection semble être plus réaliste que jamais. Mais doit-on simplement se réjouir comme le ferait un spectateur devant un film de la saga Jurassic Park ? Il faut bien convenir d’un certain nombre de limites. Premièrement, une certaine lucidité doit être de mise : si l’on peut se rapprocher des espèces disparues, il est dans la pratique complexe d’en produire des copies conformes. L’exemple des « néo aurochs » cité précédemment est représentatif, car les bovins créés sont uniquement issus de croisements : ces nouveaux individus ne sont pas plus liés biologiquement aux aurochs ancestraux qu’une vache. Quel serait alors l’intérêt de créer des animaux qui n’évoquent que par leur physique des animaux disparus – qu’aucun humain actuel n’a jamais croisé ?

En considérant que l’animal éteint soit de même ressuscité, deux autres problèmes majeurs surviendraient. Recréer une espèce disparue signifierait donc donner naissance à un animal. Mais à peine né, jamais ce nouvel être n’aura de parents de la même espèce pour la simple et bonne raison que ceux-ci n’existent plus. Ainsi, jamais il n’acquerra de comportement ancestral et vivra à la manière d’un Mowgli élevé par des loups. De même, créer ne serait-ce qu’un individu d’une espèce éteinte relève du miracle. Comment peut-on alors se targuer d’avoir ressuscité une espèce si celle-ci ne compte qu’une petite poignée de représentants ? Sans doute l’espèce se rééteindrait-elle par manque de diversité génétique.

Ensuite, il faut bien reconnaître que la Terre et l’occupation des milieux a bien changé depuis la disparation de certaines espèces. Sans doute un rhinocéros laineux – autre espèce préhistorique contemporaine du mammouth – serait-il déboussolé dans une Eurasie hors période glaciaire, de même qu’un dodo aurait bien du mal à s’acclimater dans une île Maurice plus anthropisée qu’à la fin du XVIIème siècle, date de sa disparition.


Ne peut-on pourtant pas trouver quelques arguments pour justifier la désextinction ? Bien sûr, la simple satisfaction à l’idée de voir gambader des moas – le plus grand oiseau terrestre à avoir foulé la Terre jusqu’à sa disparition par les chasseurs maoris – sera laissée aux moins réfléchis des scientifiques. En revanche, une raison davantage recevable est la suivante : depuis la disparation de telle ou telle espèce, les biotopes ont perdu des acteurs qui avaient tout autant un rôle à jouer que l’abeille en pollinisant. Certains scientifiques ont en effet établi une relation de cause à effet entre l’extinction d’une espèce et un bouleversement dans l’écosystème lié. Ainsi le géophysicien russe Sergueï Zimov insiste-il sur le fait que la disparition des grands mammifères herbivores d’Eurasie a transformé l’ancienne steppe en toundra bien plus pauvre génétiquement. Hypothétiquement, refaire fouler ces terres par lesdites espèces disparues les revaloriserait biologiquement.

Mais il semble surtout qu’il soit une raison majeure qui nous pousse à envisager la fameuse désextinction : l’homme serait redevable et aurait une dette envers la nature. La disparition de tous les animaux évoqués dans cet article étant plus ou moins imputable à l’homme, la résurrection de certains d’entre eux serait donc une forme de compensation, une manière de se faire pardonner en réparant les choses.


Ne glisse-t-on pas dès lors dans une certaine hypocrisie ? Comment peut-on prétendre réparer les dommages causés à la faune et à la flore en recréant du mieux qu’il se peut des espèces éteintes alors même qu’année après année de nouvelles espèces s’éteignent à leur tour ? Il y a bien là une forme de paradoxe et l’on risque d’agir à la façon d’un pompier pyromane. D’autant que recréer des espèces disparues nécessite des fonds faramineux, fonds qui serviraient tout aussi bien à protéger les espèces les plus menacées. Il paraît invraisemblable de tirer satisfaction de la recréation d’un dodo alors même que l’on ne compte plus qu’une centaine d’albatros d’Amsterdam (Amsterdam étant le nom donné à une île française de l’océan Indien). Il vaudrait sans doute mieux investir dans des sanctuaires plutôt que des programmes d’hypothétiques désextinction.


C’est donc avant tout une question de morale que soulève l’étonnante mais non moins fascinante question de la résurrection des espèces disparues. S’il y a bien une morale que l’on peut en tirer, c’est que ça n’est pas à l’homme ni de faire disparaître ni de créer d’espèces ; la nature s’en charge elle-même depuis maintenant 3,8 milliards d’années ! En attendant, réglons notre prétendue dette par la préservation des êtres que nous côtoyons chaque jour, et allons faire un tour dans la galerie des espèces disparues du Museum national d’histoire naturelle de Paris pour comprendre ce qui jamais ne doit se reproduire.


Théophile Patrois

 
 
 

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