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Kerguelen, Clipperton… Petit tour des îles pas si désertes de la France ultramarine

Ah, la France d’outre-mer et ses plages, son climat tropical, ses habitants… C’est du moins la représentation que l’on a tendance à se faire à l’évocation de ces territoires souvent fort éloignés de la métropole. Et pourtant, ce sont aussi des îles parfois désertes, au climat froid, exposées aux vents les plus violents, isolées de presque tout : loin de l’image d’Epinal de l’île paradisiaque, l’outre-mer est une réalité bien plus hétéroclite avec des territoires méconnus, sinon inconnus. Ces derniers sont d’ailleurs regroupés en deux groupes : les Terres australes et antarctiques françaises (autrement appelées TAAF) et l’île de Clipperton. Leurs points communs ? Aucune de ces îles n’est peuplée de manière conséquente et permanente, ceci du fait de conditions tout à fait hostiles. Mais, étonnamment, ce ne sont guère des territoires déserts, en témoigne leur richesse écologique…


Avant tout, un rappel géographique et historique serait le bienvenu. Les TAAF sont un vaste ensemble composé de 9 archipels (auquel s’ajoute la Terre Adélie, une portion de l’Antarctique revendiquée par la France mais sur laquelle sa souveraineté est gelée) qui s’étendent du nord de Madagascar à la zone subantarctique. Ces îles ont été découvertes par les navigateurs européens. Inhabitées, elles sont ensuite prises par les Français aux XVIIIè et XIXè siècles, qui essaient justement de les coloniser. C’est par exemple le cas des îles Glorieuses du nord de Madagascar sur lesquelles vivent en 1921 17 habitants qui y exploitent une cocoteraie ; mais l’aventure prend fin les années suivantes en raison du manque d’eau potable, du climat et de l’isolement. Il est aussi à noter que des naufrages ont été la cause de peuplements furtifs, loin de tout et privés de bien des ressources nécessaires à une présence sur le long terme.

Prenons alors deux exemples pour saisir la présumée pauvreté de ces territoires du bout du monde. Premièrement, Clipperton au (grand) large du Mexique dans le Pacifique Nord : avec moins de 2 km², un lagon d’eau douce non potable, des cyclones fréquents et un climat tropical, l’île ne se montre pas vraiment accueillante. Autre exemple : l’île Saint-Paul, de 8 km², battue par les vents et sans autre végétation que des herbes rases.


Mais alors, ces îles sont elles vraiment exemptes d’intérêts écologiques ? Sans surprise, non.


Tout d’abord, des ressources – déjà exploitées ou pas encore – y sont présentes. Historiquement, les cocotiers ont pu être exploités dans les îles au climat tropical. Pour les îles les plus australes, ce sont les phoques et baleines qui furent chassés pour leur graisse, tout comme les poissons pour la pêche. C’est cette dernière activité qui est encore aujourd’hui sporadiquement pratiquée, comme à Clipperton pour le thon ou dans l’océan austral pour la légine, poisson à haute valeur commerciale. Des minerais naturellement présents ont aussi pu être l’objet d’exploitation : tel fut le cas du phosphate sur cette même île, et ce jusqu’à disparition de la ressource. En réalité, la réelle force de ces territoires, c’est leur Zone Economique Exclusive (ZEE), espace maritime dans lequel un Etat est souverain : toutes ces îles contribuent donc au fait que la France dispose aujourd’hui de la deuxième ZEE au monde en terme de superficie. C’est justement dans l’espace de cette ZEE que des prospections ont révélé la présence de nodules polymétalliques riches en nickel et en cuivre au large de Clipperton ou d’hydrocarbures autour des îles françaises du Canal du Mozambique, entre Madagascar et le reste du continent africain.

Ces morceaux de France dans les océans Indien et Pacifique présentent donc quelques richesses naturelles, ce qui explique en partie pourquoi ces îles attisent la convoitise d’autres acteurs. Ces acteurs, ce sont d’abord les Etats voisins qui en réclament parfois la possession. Ainsi clame l’île Maurice sa souveraineté sur l’île Tromelin (1 km²) ; Madagascar sur les îles Europa (28 km²), Bassas da India (0 ,2 km²), Juan da Nova (4,8 km²) et Glorieuses (7 km²) ; et les Comores sur les Glorieuses également. L’enjeu est bien sûr plus d’étendre sa ZEE que de jouir de ces maigres espaces. Afin d’affirmer sa présence, la France maintient périodiquement gendarmes, scientifiques et agents des TAAF, et un navire est chargé de débarquer sur ces îles chaque année. Une autre menace contre laquelle lutte justement ces habitants de passages est la pêche illégale : si la vie peut paraître faible sur terre, elle est bien visible dans ces eaux poissonneuses qui ne manquent pas d’attirer des pêcheurs clandestins. Par exemple, la pêche illicite dans les eaux des Kerguelen entre 1997 et 2001 a été trois fois supérieure à la pêche autorisée. Des navires français opèrent donc une surveillance dans cette immense espace qui, pourtant si éloigné et isolé, attirent quelques téméraires.

Mais par ailleurs, si tous ces acteurs humains ne sont que de passage, qui a dit que ces îles étaient dénuées d’êtres vivants ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, la vie y foisonne, animée par des espèces végétales et animales terrestres comme maritimes, et c’est bien là la richesse de ces territoires. Ces derniers, si éloignés et isolés, hébergent ainsi une faune que l’on ne rencontre qu’en peu d’endroits. Etonnamment, des manchots foulent tous les jours le sol français ! C’est le cas notamment dans les Kerguelen, qui contrairement aux autres îles ici étudiées sont très vastes : l’île principale de cet archipel est la troisième île française en terme de superficie (après la Nouvelle-Calédonie et la Corse) et est plus grande que bien des départements métropolitains. On y trouve alors 4 espèces de manchots qui s’y rassemblent en groupe de milliers d’individus, des éléphants de mer, des otaries, des oiseaux marins… Parmi les rares plantes, le chou de Kerguelen qui a aidé bien des naufragés à se nourrir. Les eaux côtières ne sont pas en reste : s’y croisent orques, baleines à bosse, dauphins de Commerson et une multitude de poissons d’eau froide. Plus généralement, on trouve dans ces territoires une faune et une flore souvent endémiques, c’est-à-dire qu’on ne trouve que là. Dans l’archipel Crozet, 55% des invertébrés sont ainsi endémiques, tout comme l’est le cormoran des Kerguelen dans l’archipel éponyme, l’albatros d’Amsterdam – espèce en danger critique d’extinction – qui ne niche que sur l’île du même nom ou encore la demoiselle de Clipperton et le poisson ange de Clipperton nageant dans le récif corallien de l’atoll susnommé. Un dernier fait pour démontrer l’exceptionnelle richesse naturelle de ces îles : c’est dans les Crozet qu’a été établi le record de biomasse d’oiseau, puisqu’on y compte 60 tonnes d’oiseaux au kilomètre carré… pas étonnant avec une population de 25 millions d’oiseaux !

Malheureusement – et ça n’est hélas plus une surprise – ces écosystèmes sont aujourd’hui menacés. Par la pêche illégale et la surpêche comme cela a déjà été évoqué, mais aussi par l’introduction d’espèces invasives tels les rat, les chat ou même des insectes, lesquels s’attaquent aux espèces indigènes qui ne connaissaient jusqu’alors pas ces prédateurs. Le changement climatique est un autre danger : le réchauffement des eaux risque par exemple d’éloigner les poissons vers le sud, diminuant ainsi le stock de nourriture des oiseaux et mammifères marins. Enfin, un des signes montrant la menace qui pèse sur ces lieux extrêmement fragiles est la quantité impressionnante de déchets plastiques recouvrant certaines plages, alors même que personne n’y habite. Il n’a qu’à voir une photographie de Clipperton et de ses oiseaux nichant parmi les décombres pour être interloqué par ce sort profondément injuste…

Mais alors, que faire ? Il est possible de se réjouir (ne serait-ce qu’un peu) : ces îles ne sont pas abandonnées, et des scientifiques y séjournent régulièrement pour observer les écosystèmes et dresser un état des lieux. Cela a porté ses fruits, puisque des réserves naturelles nationales ont été décrétées. Que ce soit au travers de la réserve naturelle de l’archipel des Glorieuses (2021, sur plus de 4 000 000 ha) ou l’aire marine protégée dans les eaux territoriales de Clipperton (2016), la France s’engage à protéger ces territoires uniques en son propre sol. Le plus bel exemple est sans doute la création de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, créée en 2006 et couvrant depuis 2022 une superficie de 160 000 000 ha. C’est ainsi la plus grande réserve naturelle française, la seconde au monde, qui a été ajoutée à la liste verte des aires protégées de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), reconnaissant les aires protégées « gérées équitablement et efficacement, avec des impacts positifs sur la nature et la société ». La réserve a en outre été inscrite au Patrimoine mondiale de l’UNESCO à l’unanimité en 2019.


Si tout le monde ne connait pas nécessairement ces terres du bout du monde que sont les TAAF et Clipperton, îles désertées par les hommes, nul ne devrait douter de leur exceptionnelle richesse naturelle. Richesse toutefois menacée, à l’instar d’espèces métropolitaines, ce qui est à peu de chose près leur seul – et triste – point commun. Mais c’est justement là l’enjeu salvateur pour la France : si ces îles lui confèrent puissance et souveraineté si loin dans le monde, la France doit avant tout poursuivre ses mesures de protection et montrer qu’il est possible de privilégier la sauvegarde des écosystèmes à l’exploitation des ressources.


Théophile Patrois

 
 
 

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